29.11.2023 Retour à l'atelier de teintures pour épuiser les bains existants: j'en fais des laques, ou des extraits.
En 2014, j'ai essayé de mettre en oeuvre les procédés que Michel Garcia nous montrait dans son DVD: comment produire des laques à partir des bains épuisés ou de bains neufs. Un peu trop vite, loupant une étape, ce qui a donné des pigments cristallisés. Cette fois-ci, je m'y attelle plus sérieusement et soigneusement. J'ai relu mes notes de stage et de DVDs, mes erreurs de 2014. Ceci est d'ailleurs plus précis que mon premier résumé de 2014.
J'ai aussi découvert un groupe facebook très structuré et très bien informé Natural Dye Education, où j'ai pu lire tout ce qui avait trait aux laques.
Je conseille vivement ce groupe, malgré mon frein habituel face à facebook, car la créatrice Mel Sweetnam est rigoureuse, méthodique, rationnelle. Cela m'enchante! Elle explique les fondements chimiques et me semble aussi allergique que moi à la réaction "c'est magique", qu'on entend si souvent en teintures végétales. Elle canalise très bien les intervenants quand ils partent en toupie sur des rumeurs du net.
Laques: on en fait des supports de peinture. Avec gomme arabique, ces laques deviennent aquarelles; avec idem et craie: de la gouache; etc. J'ai tant joué en 2000 avec la production maison de médiums de peintures, en me basant sur la "bible" de Wehlte, que je pourrai aussi en faire des huiles, des émulsions-colles, des vinyliques, des tempera, de la caséine.
Ces laques servent aussi à conserver les teintures en format sec, car garder nos bains tels quels ne conduit qu'à des fermentations, des pourritures et des possibles dégradations du colorant Ce n'est pas automatique, mais c'est une potentialité. Outre que la famille n'adore pas les jus odorants à la buanderie...
Conservées en sec, on peut les redissoudre en hyperacide pour les utiliser en teintures: c'est comme si on avait produit nos propres extraits. Je pense que c'est ce qu'on appelle en anglais "split-dye" (peu documenté sur le net, je chercherai mieux la prochaine fois).
Depuis 2014, le net s'est enrichi de quantités de sources, blog ou vidéo. Qui suivre?
Quantités de vidéos annoncent "comment faire les laques". Quand on veut savoir qui suivre, si on est méthodique et rationnel, il est facile de repérer les touristes en teintures. Dès qu'ils commencent à teindre avec du chou rouge, des haricots noirs, des framboises: zouip, je quitte. Ce sont des teintures fugitives, c'est rien de le dire. On n'est pas teinturier alors, on joue avec des sources proches, ce n'est pas le même schéma mental. Dès qu'ils annoncent "sans alun, car il est toxique", zouip, je quitte. Voir le billet. Dès qu'ils prétendent faire une encre avec un simple jus de teinture, zouip je quitte. Etc.
Chez les exquises filles de Botanical colors, j'ai suivi un court séminaire donné par Natalie Stopka:
La présentation par Stopka est édifiante dans la mesure où elle insiste sur l'impossibilité de penser grammage lorsqu'on produit des laques. Beaucoup d'instinct, beaucoup de jus de cerveau, des notes vous permettront de trouver votre protocole perso, pour la plante X. A bas la gramme-attitude!
Généreusement, elle partage aussi le procédé pas-à-pas chez Botanical Easy How-To Make A Lake Pigment Je me permets de résumer en français, vous irez lire chez Botanical le détail et regarder les superbes photos. J’ajoute aussi des commentaires perso, dérivés de mon visionnage des DVDs de Michel Garcia sur le sujet. Ils sont en italique, précédés de "TL".
En résumé: produire un jus, le filtrer, ajouter au liquide de l’alun et des cristaux de soude (alias carbonate de sodium), filtrer, laver le filtrat deux à trois fois, faire sécher, conserver en récipient fermé.
Rappel. Voir l'original chez chez Botanical Easy How-To Make A Lake Pigment
Si j'ai bien compris le principe dans les vidéos de Michel Garcia (MG): si vous souhaitez transformer cette laque à nouveau en teinture (elle aura donc été une forme d'extrait sec, plus facile à conserver que des bains pourrissants), diluez la laque dans de l'eau chaude. Ajoutez, goutte à goutte, de l'acide chlorhydrique, en remuant: elle se dissout comme une teinture de base. Certains split-dyers dissolvent avec de l'acide citrique ou tartrique, du vinaigre. Ce n'est alors plus goutte à goutte. Dès que la laque est dissoute, on teint comme d'habitude le fil ou le tissu.
On peut aussi en faire une pâte d'impression: ne pas diluer dans l'eau, mais garder dense; dissoudre; gommer; imprimer; vaporiser.
Dans aucun de mes nombreux livres de teinture je n'ai d'infos sur la production de laques (sauf le premier de Michel Garcia, mais c'est un passage très court). Les laques sont expliquées dans le livre de Catharine Ellis et Joy Boutrup The Art and Science of Natural Dyes. J'adore le travail d'Ellis (je ne connais pas Boutrup), je lis souvent son blog. J'aime sa rigueur, sa méthode. Mais je ne peux me permettre de dépenser un budget pareil pour un livre dont je n'extrairai que les infos sur les laques: 82€!!! Même si je débutais en teinture, pour moi c'est trop cher. Alors que la vie devient impayable en Europe, on quadruple les prix des livres? Les extraits qu'on peut voir sur le net ne sont pas époustouflants de clarté; j'ai lu la page sur le spacedyed. Si le lecteur n'est pas déjà averti, il ne saura comment faire. Je ne vois pas comment justifier cela, étant moi-même du métier puisqu'éditeur. Le monde des teintures naturelles coûte 59€ mais que c'est une vraie bible, richissime, quasi une encyclopédie, près de 800 pages écrites en tout petit, par une grande professionnelle de l'Histoire... En tissage aussi, quelques tisserandes très douées, mais peu pédagogues, produisent des livres qu'elles vendent à des prix non justifiables. Cela doit tenir à une faille de l'ego, que je respecte, mais le client n'a pas à payer pour cela, non? Bref. Fin de ma petite crise .
Ma seule source fiable autre est chez MG chez qui j'ai appris la procédure, dans ses divers cours, dont les DVDs chez Slowfiber Studio. Il les résume parfois sur sa page facebook.
J'ai récemment appris chez MG qu'il ajoute des tanins au stade ajout d'alun ( point 5 ci-dessus), pour aider au précipité.
Dans ses dernières vidéos chez Olga (via facebook), MG montre une autre technique encore: il n'utilise pas du carbonate de soude mais bien de l'acétate de soude. La réaction chimique donnera de l'acétate d'alun, le meilleur mordant pour cellulosiques et soie. En détail le mariage de sodium acétate + alun sulfate deviendra alun acetate + sodium sulfate. Ce dernier agit comme unisson, pour une meilleure prise de couleur (comme sels de Glauber). L'acétate d'alun est
NB. Vu sur le net qu'on peut faire de l'acétate, on s'en serait douté, en mélangeant soude et vinaigre. En l'occurrence 1/4l de vinaigre + 17g de bicarbonate de soude. Je dois demander à Michel, mais ne suffirait-il pas d'ajouter du vinaigre au lieu d'eau avec le carbonate de soude?
C'est pour le contexte d'impressions que MG propose de l'acétate de soude plutôt que du carbonate, sur la soie: affinité pour l'acétate. J'imagine, en tout cas.
Selon MG, les laques jaunes sont trop transparentes. Il les crée à la craie (ou carbonate de calcium), ce qui les opacifie un peu.
Dans le DVD4, au Mexique, il avait redécouvert les principes du "noir de cochenille" (qui donnera rose): on réalise la laque à la chaux, chez les Mexicains. Il propose de l'acétate de calcium (j'imagine craie et vinaigre?).
Impression tissu. MG n'utilise pas ce qui semble standard chez les Américaines: une couche de soja sur le tissu pour rendre la teinture lavable. Je pense que cela a été médiatisé par John Marshall, qui vit au Japon; et propagé aussi par Ellis et Bouthrup. Natalie Stopka peint sur tissu (elle est marbreuse) avec ces laques. Elle enduit le tissu de soja, applique la couleur, enduit encore trois fois en fine couche, comme pour enfermer le colorant. Il faut maturer un mois avant de laver. Comme ça me semble compliqué! Comme c'est loin de nos produits locaux! (on pourrait le faire au lait de vache, bien moins polluant que les grandes cultures de soja qui ravagent la planète). Comme j'imagine que le tissu va perdre en drapé! En outre, je peux imaginer que cet enduit va disparaître avec le temps, par usure mécanique tout simplement.
J'utilise avec bonheur le procédé de MG pour imprimer sur tissu, sans passer par le soja: gelifier un colorant dense à la gomme, l'appliquer, vaporiser le tissu pendant 1/4 d'heure minimum (3/4 d'heure pour l'étamine de laine), le laver. Le tissu reste souple, il garde sa main. Aucune couleur ne bave au lavage.
Il me reste à tester le passage du tissu coton, lin ou soie dans un fixatif classique cellulose (percarbonate de soude, silicate de soude, son de blé, etc.) pendant quelques heures, pour éviter la complication de se fabriquer un vaporisateur - même si les plans faciles sont publiés sur la page fb de mG et dans ses vidéos.
Ceci ouvre un vaste sujet d'exploration:
Photo du filtre à vide d'air chez Alchemical Arts
Dans cette vidéo, le gars d'Alchemical Arts teste une laque de bois du Brésil ou santal dans des contextes différents: bouillon normal ou bouillon vinaigré, ajout de base soude ou craie. Soit 4 résultats différents.
Il est super clair à suivre, c'est un plaisir. Mais attention, il ne suit pas les mêmes sources que nous, les proportions et le procédé sont un peu différents.
Demain, je ferai de la laque de santal, vu qu'on vient de m'offrir des sacs de plantes provenant de l'héritage de la chère feu Nana, grande teinturière. J'extrairai le colorant à l'alcool, comme le fait Sandra Rude - je produirai donc la laque dans une semaine, le temps que le colorant se donne à l'alcool.
Conclusion: mon intérêt n'est pas pour les laques comme pigments de peinture, car je ne peins plus. Teindre, filer, tisser me suffisent. J'ai un intérêt particulier pour la laque de garance car je voudrais peindre des chaines de tissage ou imprimer des tissus avec cette couleur rouge que j'aime tant. Or, selon MG, la garance ne donne bien en pâte d'impression que si elle est d'abord laquée.
En outre, j'aimerais tester une solution pour économiser l'eau de teinture: peindre à la large brosse une pâte colorante sur le tissu, puis le vaporiser pour fixer la couleur. Peindre à la large brosse est, à mon souvenir, une technique japonaise. Plus d'eau de mordançage, plus d'eau de rinçage intermédiaire, plus d'eau pour la teinture: que d'économies pour nos réserves! C'est en écoutant la formidable Sandrine Rozier chez Art Eco Vert que j'ai capté cette idée.
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